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Assiba Chapitre 5

La matinée suivante défile à toute vitesse. Je garde Alexis deux petites heures à peine, et je me retrouve libre d’organiser le reste de mon emploi du temps comme bon me semble. Au lieu de rentrer directement à la maison, je déjeune sur le pouce dans un restaurant anti-gaspillage du centre-ville. Au-delà du concept engagé, j’apprécie le cadre et la bonne humeur des propriétaires. Cet espace est devenu ma cantine depuis son ouverture. Je prends le temps de me poser, et de réfléchir à mon programme. Après le repas, il faut je me rende dans l’unique magasin de produits cosmétiques afro de l’Ile. Je compte ensuite défaire mes nattes, installée devant une série, ce qui m’occupera une bonne partie de l’après-midi. Puis je ferai ensuite un ou deux soins, avant de passer au shampoing. J’ai déjà pris rendez-vous pour aller chez ma coiffeuse le lendemain.

Satisfaite de mes occupations à venir, j’avale ma dernière bouchée, quand la sonnerie de mon téléphone retentie. Je ne reconnais pas le numéro qui s’affiche, et je décroche d’une voix qui vise à décourager toute tentative de démarchage téléphonique.

« Allô ! », lancé-je d’un ton péremptoire.

« Bonjour Assiba, c’est Damien ! ».

« Mais non ! Je croyais que tu avais oublié mon existence ! ».

« Comment peux-tu dire une chose pareille ? Je pense à toi jours et nuits ! ».

« Arrête tes bêtises… Comment ça va ? ».

« Super bien ! Et toi ? ».

« Bien, très bien. Mais ça manque d’animation par ici ! ».

« Tant mieux. Tu vas avoir de quoi t’occuper, car j’ai l’intention de pimenter ton quotidien ».

« Fais-moi rêver… ».

« Que dirais-tu d’héberger un éphèbe pendant une semaine ? ».

« Qui ? Un acteur célèbre ? Un mannequin ? ».

« Mais non ! Moi, voyons ! ».

« Tu débarques ici ? C’est génial ! C’est la meilleure nouvelle de l’année ! ».

« Je savais que tu serais au comble de l’excitation ! ».

« Tu parles ! Et que me vaut l’honneur de ta visite ? ».

« Je viens à titre professionnel ».

« Excusez-moi du peu… Il fallait bien un tel motif pour que tu daignes te déplacer jusqu’à l’Ile qui t’a vu naître ».

« Touché… Mais ne sois pas si injuste. Tu sais parfaitement que je rêverais de venir plus souvent, mais mes finances ne me le permettent pas ».

« Je sais bien. Je te taquine… Et c’est quoi au juste ton « titre professionnel ? ».

« J’ai l’immense honneur de t’annoncer que je viens sur l’Ile pour faire du repérage pour le tournage de mon premier long métrage ! ».

« C’est énorme ! ».

« Oui ! A force de me démener comme un fou, j’ai rencontré un producteur fan de mon travail, qui accepte de me suivre sur ce projet. C’est mon principal soutien financier, et il trouvé des partenaires solides pour boucler le tour de table. Et forcément, mon premier film impliquait un retour aux sources. Notre Ile est un personnage à part entière ».

« C’est génial ! Je suis super contente pour toi. Tu arrives quand du coup ? ».

« Samedi en huit, par bateau. Je veux des images de l’arrivée par la mer. Tu viendras me chercher ? ».

« Quelle question ! Je vais te chouchouter tant et si bien que tu ne voudras plus repartir ».

« Pour ça, je te fais confiance. Bon, je te laisse car j’ai un tas de choses à régler avant mon départ. On aura tout le temps de discuter quand on sera ensemble ».

« A vos ordres monsieur le réalisateur ! »

« Je t’embrasse fort ».

« Moi aussi. A samedi », dis-je avant de raccrocher.

J’ai envie de sauter de joie en rassemblant mes affaires. Je quitte le restaurant le sourire aux lèvres, heureuse de revoir Damien. On se connaît depuis toujours. Fils unique, élevée par une mère peintre avec un brin de folie, et un père réalisateur de renom trop souvent absent, il possède cette aura un poil tyrannique qui auréole parfois les enfants rois. Quand nous étions enfants, j’étais secrètement amoureuse de lui. J’admirais son assurance et son tempérament de leader. J’exécutais ses moindres ordres, et je trouvais chacune de ses idées fabuleuses. Avec ses quatre ans de plus, je pense que je le considérais un peu comme le grand frère que je n’ai jamais eu. Du fait de l’amitié de nos mamans, nous passions presque tout notre temps ensemble. Nous avons même commencé les cours de piano ensemble. Damien avait arrêté au bout de quelques années, tandis que j’avais choisi d’y consacrer ma vie.

A l’adolescence, nous étions restés tout aussi proches (voire même plus), mais nos rapports sont toujours restés strictement amicaux. C’est à cette époque que j’ai développé une attirance pour les mauvais garçons, et lui pour les blondes aux yeux cheveux raides. Bref, nos goûts réciproques ne risquaient pas de nous rapprocher sur le plan sentimental. Mais je dois avouer avoir ressenti une pointe de jalousie quand nos échanges se sont raréfiés avec la distance. En effet, Damien a quitté l’Ile il y a quatre ans. Il a suivi ses parents qui avaient décidé de s’installer en Californie. Il a ensuite poursuivi ses études à Londres, où il réside désormais. Depuis son départ, nous ne nous sommes vus que sept ou huit fois. Sa dernière visite étant pour assister à l’enterrement de mes parents.

Je sais déjà que son séjour va causer des tensions entre Mathieu et moi. Il devient nerveux dès qu’un autre homme m’adresse la parole. Je ne lui ai pourtant jamais donné la moindre occasion de douter de ma fidélité. Je ne sais pas encore comment lui annoncer que je compte héberger Damien, et profiter au maximum de sa présence (qui sera certainement brève). Une chose est certaine, si je sois choisir entre mon ami de toujours, et mon petit ami pas toujours commode, mon choix est fait !

J’en étais là de mes réflexions quand je constate que je suis arrivée devant le Curly Shop. Je pousse la porte, et trouve le vendeur occupé ave une autre cliente. Pour patienter, je déambule dans les rayons familiers. C’est ici que je viens depuis toujours acheter les crèmes, huiles, mèches, postiches et autres accessoires indispensables à l’entretien de mes cheveux crépus. Il n’existe pas d’autre endroit sur l’Ile pour se procurer ces articles bien spécifiques. Heureusement, le choix est vaste, et les produits de qualité, directement importés des Etats Unis ! J’aime venir ici, car pour une personne qui évolue dans un milieu exclusivement blanc, cette boutique crée le lien avec mes racines africaines. Et même si j’achète généralement la même chose, je prends plaisir à me renseigner sur toutes les nouveautés et les dernières tendances.

« Alors Assiba, tu te décides enfin à essayer une lace wig ? ». C’est Gladys, la gérante du magasin qui s’adresse à moi.

« Hello Gladys. Pas cette fois », dis-je en reposant la perruque que je tenais à la main. « C’est bien trop glamour pour moi ! ».

« Elle t’irait pourtant tellement bien, vu la forme de ton visage ».

« Si je décide un jour de changer de style, je te promets de suivre tes conseils ».

« Que puis-je faire pour toi, ma chérie ? ».

« Comme d’habitude. Je vais prendre six mèches Pony numéro 2 ».

« Tu ne veux pas faire un mélange de teintes ? ».

« Non, ça ira, merci. J’ai aussi besoin d’un pot de poudre de Moringa et une bouteille d’huile de noix de coco ».

Elle décroche les six paquets de mèches du présentoir et nous allons ensemble vers le comptoir. Au passage, elle prend les deux autres produits en rayon, et je passe en caisse.

« Quoi de neuf depuis la dernière fois ? », me demande-t-elle.

« Rien de spécial, la routine », répondis-je.

« La routine a parfois du bon !  Alors ça fait 14,94 pour les mèches, 10,90€ pour le Moringa et 16,90€ pour l’huile. Soit un total de 42,74€ ».

« C’est pas faux. Je vais payer par carte ».

Je règle mes achats, salue Gladys et le vendeur, et puis je me retrouve dans la rue. Je suis toujours en peu nostalgique quand je vais chez Curly Shop. C’est un des endroits que je fréquentais avec Maman. Et puis, c’est tout un rituel mère-fille qui me manque. C’est Maman qui me coiffait et prenait grand soin de mes cheveux. J’ai un léger pincement au cœur, en pensant que je serai seule, face à l’écran de télé pour me décoiffer. Seule pour faire mon masque capillaire et les autres soins. Seule, seule, seule…

Et puis l’arrivée prochaine de Damien me revient à l’esprit. Et toutes mes pensées sombres s’envolent d’un seul coup.

*** Fin du Chapitre V ***

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