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Assiba Chapitre 3

« Bonjour Assiba. Comment vas-tu ? » demande Nathalie.

Comme tous les jours, depuis que je la connais, Nathalie est resplendissante. Je me demande comment elle fait. Elle porte un simple jean, des tennis, et un petit haut en soie blanc. Ses cheveux, coiffés en chignon, et son léger maquillage sont impeccables. Tandis qu’elle m’accueille d’une accolade amicale, j’ose à peine regarder à quoi je ressemble, en passant devant le grand miroir de l’entrée.

« Bonjour Nathalie. Je suis peu fatiguée. J’ai fait un cauchemar cette nuit ».

« Argh, j’ai horreur de ça ! Allonge-toi sur le canapé si tu veux t’assoupir un peu. Alexis est encore au lit, car la nuit a été difficile. Une poussée dentaire sans doute. Laisse-le dormir autant que nécessaire ».

« OK ! ».

« Pour midi, je lui ai préparé une purée de carottes que tu trouveras au frigo. Ajoute une tranche de jambon, et donne-lui un fruit comme dessert. Et pour toi, choisis ce qui te fait plaisir. J’ai fait le plein de courses, et j’ai pris des lentilles, car je sais que tu adores ça ! »

« Merci, c’est sympa ! Et ça fait un moment que je n’en ai pas mangé ! ».

« Tu m’en vois ravie ! ». « Bon », dit-elle en attrapant son sac à main, « je crois que je n’ai rien oublié. Je ne rentrerai pas tard aujourd’hui, mais je vous passerai un coup de fil dans la journée. Bye bye ! ».

« A plus tard Nathalie ! ».

Elle m’embrasse chaleureusement sur les deux joues, avant fouiller son sac pour retrouver ses clés de voiture. Je la regarde quitter la maison d’un pas léger, puis je referme la porte derrière elle en souriant. A son contact, la vie semble toujours plus légère.

J’oublie souvent que Nathalie est mon employeur, car elle a tendance à me traiter comme un membre de sa famille. J’admets qu’elle m’exaspère de temps en temps, avec sa manie à trop vouloir s’immiscer dans mon intimité. Mais en neuf mois, nous n’avons jamais eu le moindre accrochage. Je remercie sans cesse le ciel de l’avoir rencontrée. Car si j’ai eu la chance d’hériter d’un toit, je n’avais en revanche que peu d’argent de côté. J’ai largement pioché dans l’assurance vie souscrite en mon nom par mes parents, pour payer les frais de succession. Il me restait bien une coquette somme, mais certainement pas de quoi mener une existence de rentière à vie. Je devais donc me débrouiller pour subvenir à mes besoins, et financer mes études au conservatoire (si je décidais de les reprendre). Sans autre qualification que mon enseignement musical, mes perspectives d’employabilité se trouvaient limitées. Après quelques recherches sur Internet, j’ai décidé de me tourner vers une association spécialisée dans l’emploi des étudiants. Grâce à eux, j’étais certaine de trouver un petit boulot à temps partiel, qui me laisserait suffisamment de temps libre le moment venu.

 Le jour où je me suis présentée au Centre Charles Péguy, le premier contact n’a pas été des plus motivants. La petite salle d’attente était vide, et il faisait une chaleur épouvantable. Une femme entre deux âges, aimable, mais débordée malgré l’absence de visiteurs, m’a tendu un formulaire de quatre pages à compléter.

« Vous devez le remplir pour me permettre de créer votre fiche de profil. Plus vous serez précise, plus nous pourrons être efficaces », lança-t-elle avec un clin d’œil.

J’ai rempli les documents en quelques minutes. Elle s’est saisie des feuilles que je lui tendais, et les a immédiatement parcourues.  Son visage s’illuminait au fil de la lecture.

« C’est agréable de croiser un profil aussi atypique. Vous ne semblez pas trop exigeante… Si tous les dossiers étaient comme le vôtre, dit-elle, ça me faciliterait drôlement la vie ».

Je lui ai adressé un sourire de connivence,  car j’ai senti que c’était le genre de femme qu’il valait mieux avoir de mon côté pour accélérer mes démarches administratives. Comblé par tant d’attention, elle a poursuivi l’interrogatoire.

« Vous recherchez quel type d’emploi », me demanda-t-elle.

« A part la musique, ma seule expérience se résume à du baby-sitting. Et encore, j’en ai fait de manière très exceptionnelle », répondis-je. « Mais j’ai un excellent contact avec les enfants. Donc je pense que c’est le type de poste où je me sentirai le plus à mon aise. Et puis, je dois vraiment commencer le plus vite possible ».

« Les cours particuliers de musique, ou le soutien scolaire ne vous tentent pas ? »

« Non, pas spécialement. Je n’ai pas envie d’être mobilisée uniquement en sortie d’école. Et puis je ne pense pas pouvoir générer un revenu suffisant avec quelques heures de cours par semaine ».

« Oui, en effet. Vous soulevez un point important. Ne vous inquiétez pas, mademoiselle. Je vais vous trouver quelque chose en un rien de temps ».

Au ton de sa voix, je compris que mon profil l’avait séduite, et qu’elle s’impliquerait personnellement dans ma recherche d’emploi. Elle a commencé à pianoter sur le clavier de son ordinateur, pour consulter un logiciel qu’elle semblait très mal maîtriser.

« Je vous prie de m’excuser mais on vient de changer tout le parc informatique et j’ai encore du mal à me servir de ce nouvel outil », dit-elle

« Ah bon ? Je n’avais pas remarqué ! », répondis-je, avec une pointe d’ironie qu’elle ne perçut pas.

Quand elle est finalement parvenue à rentrer mes critères dans l’outil de recherche, je n’étais pas au bout de mon attente. Cette brave femme a passé un quart d’heure à repérer et mettre de côté des offres d’emploi qui ne me convenaient pas du tout.

« Je sais que ce n’est pas pour vous », disait-elle, « mais je préfère vous les proposer puisqu’elles s’affichent sur mon écran ».

Malgré sa bonne volonté, le temps commençait à me sembler long. Soudain, elle s’est écriée :

« Voilà ! J’ai trouvé l’annonce parfaite ! »

« Vraiment ? », l’interrogeais-je, sceptique.

« Oui ! Ecoutez la description du poste : Recherche jeune fille pour garder un petit garçon de 9 mois, quelques heures par semaines (horaires variables). Salaire : 10€ net de l’heure + congés payés et titre de transport. Bonne présentation exigée. C’est drôlement intéressant comme tarif horaire », dit-elle en terminant sa lecture d’un ton victorieux. « Nous allons téléphoner tout de suite, et prendre rendez-vous avec l’employeur ».

Sans attendre ma réponse, elle a composé le numéro de téléphone indiqué dans l’annonce.

« Bonjour Madame. Je suis Madame Brillant, du Centre Charles Péguy. Je vous appelle car j’ai devant moi une charmante jeune femme qui semble être la candidate idéale pour le poste de nourrice que vous proposez ».

Je n’entendais pas les paroles de son interlocutrice, mais Madame Brillant, souriait à pleine dents, en acquiesçant dans ma direction.

«  Oui, bien entendu… Oui, tout à fait… Mais oui, évidemment. Ne quittez pas, je vous la passe ». « Tenez », dit-elle en me tendant le combiné. « Je vous passe Madame de Linval ».

« Merci », dis-je en lui prenant l’appareil des mains. « Bonjour Madame, je suis Assiba Gomez ».

« Bonjour Mademoiselle », répondit une voix agréable. « Nathalie de Linval ! Ecoutez, je suis désolée mais je suis un peu pressée : je sortais quand le téléphone a sonné. Je pense qu’il serait plus simple de nous rencontrer. Vous êtes disponible cet après-midi à 16h ?

« Cela me convient. Vous être à quelle adresse ? ».

« 113 Clos Sainte Bénédicte. Vous conduisez ? ».

« Oui. Mais je n’ai pas de véhicule, donc viendrai en transports ».

« Parfait ! La station la plus proche est Allée Verte avec le bus 7 ou 70. Je vous vois à 16h ! ».

« Oui, c’est noté. Au revoir Madame ».

« Au revoir Mademoiselle ».

J’ai raccroché, satisfaite. Ce premier contact paraissait encourageant. Restait à savoir si la rencontre déboucherait sur une issue favorable. En partant du Centre Charles Péguy, ma nouvelle meilleure amie m’a certifiée que j’allais décrocher le poste, car je n’étais «  pas du tout du même genre que les filles qui se présentaient d’ordinaire ». Je ne savais pas vraiment comment je devais prendre cette confidence, mais il m’a semblé qu’elle me faisait un compliment.

 J’avais plusieurs heures devant moi avant le rendez-vous, et aucun but. Mes amies étaient en cours, et je n’avais aucune envie de passer voir Mathieu. Il serait sans doute très occupé. Après une brève hésitation, je décidais de mettre toutes les chances de mon côté. J’allais faire un peu de shopping, et acheter une tenue neuve, pour faire bonne figure lors de mon entretien. J’ai rapidement trouvé un haut et une jupe noirs (ma couleur du moment), dans un style décontracté chic. Je disposais ainsi tout le temps nécessaire pour repasser à la maison, déjeuner, me reposer, et me changer avent de retrouver Madame de Linval.

A 16 heures tapantes, je sonnais à l’interphone d’un magnifique hôtel particulier. Là, une jolie femme d’une trentaine d’années m’attendait en souriant sur le pas de la porte. C’était Nathalie.

Elle m’a conduite dans le salon, où se trouvait son fils, Alexis, un beau bébé qui me lançait des sourires charmeurs depuis son transat. Les présentations faites, Nathalie m’a expliqué que son époux était à la tête d’un énorme groupe, spécialisé dans le BTP et les espaces verts. Elle avait quant à elle développé une activité de décoratrice d’intérieur, qui l’occupait très peu. Alexis était leur premier enfant et elle cherchait une personne de confiance pour le garder quelques heures chaque jour.

« Je viens à peine de lancer mon activité, et c’est si difficile de se constituer une clientèle. Du coup, je m’organise pour travailler seulement quatre à cinq heures quotidienne, afin profiter au maximum de mon fils, tant que je peux encore me le permettre. Je passe la moitié de mon temps au bureau, aménagé sous les combles. L’autre moitié, je pars en rendez-vous de prospection ».

Elle a ajouté que les horaires seraient très variables, mais qu’elle me garantissait 25h de travail hebdomadaire, plus quelques extra le soir, occasionnellement. Elle tenait en effet à ce que je puisse compter sur un revenu stable.

Elle m’a ensuite interrogée sur mon parcours, ma situation familiale, mon expérience et mes goûts. Nathalie s’exprimait avec aisance, sur un ton enjoué, et souriait sans arrêt. C’était un réel plaisir de parler avec elle. J’avais l’impression de papoter avec une copine, comme si nous nous étions toujours connues.

A l’issue d’une bonne heure et demie, nous avions abordé tous les points nécessaires, et même plus. Elle m’a indiqué qu’elle consulterait son époux, et vérifierait mes références avant de me donner une réponse définitive, mais son choix était fait en ma faveur !

Sur le seuil de la porte, elle m’a confié :

« C’est drôle ! Ce matin, quand je vous ai entendu au téléphone, je n’aurais jamais imaginé que vous étiez noire. Bon, c’est vrai que votre prénom sonne un peu exotique, mais un nom, ça ne veut rien dire, hein ? De toutes façons, je ne suis pas raciste, et c’est bien connu, les femmes noires s’occupent très bien des enfants.  Je vous rappelle demain pour la réponse. Au revoir Assiba ».

« Au revoir Nathalie ».

J’ai été surprise tellement surprise que je n’ai même pas réagi quand elle m’a fait cette réflexion. Quelques minutes plus tard, en attendant le bus, je me suis dit qu’il faudrait que j’apprenne à cette jeune maman à surveiller ses propos, si effectivement je décrochais le travail…

*** Fin du Chapitre III ***

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