« Un, deux, trois quatre ! Et cinq, six, sept, huit. A gauche… A droite… On lève les bras, on baisse la tête… Et puis on tourne ! ».
Alexis bondit dans tous les sens, tandis que j’improvise une chorégraphie endiablée au milieu du salon. Il tente maladroitement d’imiter chacun de mes mouvements, tombe, se relève, tourne, fait un faux pas, tombe à nouveau, et finalement me supplie de le prendre dans mes bras. Agrippé à mon cou, les jambes enserrant fermement ma taille, il donne le signal de départ, et nous tournoyons de plus belle, entraînés par les tubes des Destiny’s Child qui s’enchaînent sur la chaîne.
Heureusement que nos journée ne défilent pas toutes à ce rythme effréné ! Alexis est un enfant calme et indépendant, qui préfère jouer seul avec ses jeux de construction, ou encore feuilleter des livres. Oui, les livres lui plaisent énormément. Il m’attire souvent vers sa bibliothèque, et choisit une pile d’ouvrage variés, pour que je lui fasse de la lecture. J’apprécie ces moments de tendresse, où il s’installe sur mes genoux, la tête adossée à mon épaule, son doudou dans une main, le pouce de l’autre main dans la bouche. Il m’écoute avec concentration, tandis que j’endosse les rôles de divers personnages. Son expression change à chaque ligne. Tantôt il rit, tantôt il fronce les sourcils. Et souvent, il me demande de recommencer au début quand je tourne la dernière page. Et je m’exécute. Car Alexis me fait un bien fou. Je reporte toute mon affection sur lui. Je ne me lasse pas de le cajoler. Je m’effondre quand il est malade ou s’il se cogne. Je suis heureuse quand il rit aux éclats, et que ses grands yeux bleus débordent de joie. Il me comble de bonheur quand il me serre de toutes ses petites forces dans ses bras potelés. Parfois, il arrive que les rôles s’inversent, et c’est lui qui me console. Une fois, il m’a surprise en train de pleurer. Il m’a dévisagée, d’un air interdit, puis il a tendu sa main vers mon visage, pour essuyer les larmes qui perlaient aux coins de mes yeux. Et il m’a adressé son plus beau sourire. Un sourire empreint de tendresse. Un de ces sourires qui soulage tous les chagrins. Je l’ai enlacé tendrement, me jurant de ne plus jamais me laisser aller en sa présence.
« Allez, ça suffit mon chéri. Je n’en peux plus », dis-je en éteignant la musique. « C’est l’heure de déjeuner de toutes façons. Tu as faim ? »
« Oui ! Faim ».
« Alors on passe à table ! En plus Maman t’a préparé une bonne purée ».
Quelques heures plus tard, le silence retombe sur la maison : Alexis fait la sieste. Je l’aurais volontiers imité, après la mauvaise nuit que je viens de passer. Mais je n’aime pas m’endormir quand il est sous ma responsabilité. Je me dirige alors vers l’immense bibliothèque, aux murs tapissés d’ouvrages. Cette pièce me fait rêver. J’ai pris l’habitude de toujours avoir une lecture en cours chez Nathalie. Elle ne verrait aucun problème à ce que j’emprunte le livre pour avancer plus rapidement, mais je m’y refuse. J’aime l’idée de ne le lire que dans ce cadre majestueux.
J’ai parcouru à peine quelques pages, quand mon téléphone sonne. C’est Mathieu.
« Hello Assiba. Ça va ? ».
« Oui et toi ? ».
« Cool ». Un silence s’installe. « Ça te dirait de venir regarder un film à la maison ce soir ? »
« J’avais prévu de rentrer chez moi pour me reposer ».
« S’il te plaît… Je n’ai pas aimé la manière dont on s’est quitté ce matin. Je n’aime pas quand on est fâché ».
« Bon OK… Je passe quand même à la maison et je te retrouve à 20h30 à la librairie ».
« Super ! A ce soir ».
« A ce soir ».
Je regrette d’avoir cédé. Mais je crois que je voulais me donner bonne conscience : je refuse de porter le mauvais rôle dans notre relation. Il fait un geste vers moi, et semble vouloir apaiser la situation. C’est qu’il tient encore à moi. Et puis je me dis qu’avec un simple film, je ne devrais pas me coucher trop tard.
Lorsque j’arrive devant l’entrée de la librairie, Mathieu est déjà en train de verrouiller la porte.
« Tu as failli me manquer » dit-il sèchement. « Qu’est-ce que tu fabriquais ? ».
« Désolée », dis-je en l’embrassant « Je suis repassée chez moi, et Claire a téléphoné quand je partais ! Tu la connais, quand elle est lancée… »
« Oui, oui, évidemment », m’interrompt-il furieux. « Ta copine t’appelle cent fois par jour, mais tu préfères me faire poireauter, alors que je viens de passer presque 15 heures au boulot ! Tu quoi que je n’ai rien d’autre à faire que de t’attendre ? Ça t’arrive de penser aux autres ? ».
« Mais ça va pas ? Calme-toi ! ».
« Oh, ça va ! On ne va pas s’éterniser sur le sujet maintenant que tu es là ».
Et il se met en route. J’hésite un instant à le suivre. Je pousse un soupir résigné, en me persuadant qu’il reste encore quelque chose à sauver dans notre relation. Malgré toutes les tensions, je tiens à lui.
« Mathieu ! Attends-moi ! Je suis désolée ! J’aurais dû dire à Claire de me rappeler… Mais tu n’es jamais à l’heure… Je pensais sincèrement que tu finirais plus tard… ».
« Tu pensais mal ! De toutes façons, j’ai dit qu’on n’en parlait plus ».
« Ok, on n’en parle plus ».
Nous parcourons quelques mètres en silence. J’ose à peine le regarder, de peur de déclencher une autre crise. J’hésite encore à renter de mon côté, lorsqu’il se décide à engager la conversation.
« Je suis désolé », dit-il en me prenant par la taille. « C’est moi qui devrais m’excuser. Je suis énervé à cause d’un client mécontent qui a provoqué un esclandre pendant près d’une heure. Tu as tout pris pour lui… ».
« Un peu énervé… », risquai-je timidement. « C’est le moins que l’on puisse dire. ».
« Un peu beaucoup, je te l’accorde. Mais tu sais comment ça se passe quand un client m’exaspère. Je dois rester zen en sa présence, alors qu’intérieurement, j’enrage. Je te jure que ça ne se reproduira plus. Je me ferai pardonner ».
« Tu devras te surpasser… ».
« Regarde un peu… ».
Un seul baiser me fait oublier notre accrochage, et nous poursuivons le chemin enlacés dans les bras l’un de l’autre. L’air est doux, les passants semblent heureux. Je me sens à nouveau sereine. Un regard vers Mathieu confirme qu’il partage la même sensation de bien-être que moi. Ses yeux brillent intensément.
« A quoi tu penses ? » s’enquiert-il
« A rien, tout est parfait. Je suis heureuse et je te trouve beau ».
« Merci. Tu me plaît beaucoup aussi ».
« Ah bon ? ».
« Je t’assure ».
Un nouveau baiser dissipe les doutes qui subsistaient.
« Dis-moi, il te voulait quoi le crétin qui t’a fait des misères ? ».
« Peu importe. A présent c’est oublié. Il a pourri ma journée, donc je veux le sortir de ma tête ».
« D’accord. A part ça ? ».
« Je suis vanné ».
« Moi aussi ».
« Pas autant que moi ».
« Beaucoup plus ! Je te rappelle que je n’ai pas dormi, moi ! ».
« Tu n’arrêtes pas de te plaindre ».
« Et toi tu es vraiment le roi des cons : tu casses toujours l’ambiance ! ».
Exaspérée, je me détache de lui d’un mouvement, et prend la direction de mon appartement.
« Reviens » dit-il en me retenant par le bras. « Je t’en supplie, il faut vraiment qu’on arrête ».
Je me retourne, je le regarde droits dans les yeux et je lui lance : « Le dernier arrivé prépare le dîner ».
Mathieu a triché et je me retrouve de corvée dans la cuisine. En plus d’avoir perdu la course, je voulais gagner du temps : il tenait à prendre une douche, et je ne voulais pas retarder davantage le moment du repas. L’inspection du réfrigérateur est brève : trois yaourts, une brique de lait, une bouteille de vin blanc et une plaquette de beurre. Je hurle dans sa direction :
« Qu’est-ce qu’on mange ? Le frigo est vide ! ».
« Il y a des pâtes dans le placard ».
« Super ! Encore une soirée pâtes au beurre. On ne mange que ça ici. J’aurais du penser à faire des courses ».
« Et tu aurais été encore plus en retard », rétorque-t-il en apparaissant à la porte.
Il se tient dans l’encadrement, vêtu d’une simple serviette de bain. Mouillé, je le trouve particulièrement sexy.
« J’ai une bonne raison de râler : je meurs de faim ! Remarque, depuis le temps, je devrais savoir qu’il n’y a jamais rien à manger ici. L’espoir fait vivre… ».
« Et ceux qui vivent d’espoir meurent de faim ! Je m’habille vite fait, et je roule un joint, histoire de tromper ton estomac ? J’ai une herbe qui te fera oublier la monotonie du menu ».
« Alors ne perd pas de temps ! ».
Son herbe est en effet terriblement bonne : les pâtes au beurre paraissent succulentes, et le film de Kun Fu passionnant (je hais les films de Kun Fu). A la fin du repas, Mathieu se love amoureusement dans mes bras. Ses baisers sont de plus en plus prononcés, tandis qu’il parcourt mon corps de caresses. Il ôte mes vêtements en prenant soin d’effleurer chaque parcelle de ma peau. Ses mains se font de plus en plus précises. Lentement, très lentement, il progresse vers mon bas-ventre, contracté de plaisir à l’idée de la caresse à venir. Inlassablement, il m’éveille au désir.
« Continue mon amour », dis-je en laissant la volupté m’emporter.
*** Fin du Chapitre IV ***